lundi 15 mai 2017

Frères humains au cœur endurci



"Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les coeurs contre nous endurcis?"
François Villon

« Cela fait réfléchir. 
Ce n’est pas un naufrage en mer, mais une mort dans un canal, 
en face de centaines de personnes ! »
Francesca Zaccariotto, chargée des travaux publics à Venise


Par rapport à l'indicible de la réalité qui interroge notre humanité, les mots restent pauvres.
J'ai essayé pourtant en composant le texte qui suit :




Dans les yeux du monde

Il a traversé le désert
Il a traversé la mer

Depuis deux années
Il avait en Italie
Un titre de réfugié

Dimanche 21 janvier
De l'an 2017
Il est arrivé à Venise
Par le train
En provenance de Milan

Qui saura ses raisons?

Il s'est assis
Sur le pont des déchaussés
A posé son sac à dos
Ses papiers rangés
Dans un sachet plastique

Puis il s'est levé
Noir jeune homme
Couvert de solitude
Et il s'est jeté
Dans l'eau froide
Du Grand Canal

Pendant qu'il se mourait

Ils l'ont regardé
Ils l'ont filmé
Ils l'ont insulté

"Nage jusqu'à la maison"
"Allez rentre chez-toi"
"Laissez-le mourir"
"C'est une merde"
"Il fait semblant"

Des spectateurs
Nul n'a plongé
Nul ne l'a secouru

Il venait de Gambie
Petit pays d'Afrique
Enclos dans le Sénégal
Bordé par l'Océan atlantique

Il s'est noyé dans les yeux du monde
Dans le cœur endurci des humains

Il s'appelait Pateh Sabally
Il était âgé de vingt-deux ans

Soumya Ammar Khodja

Chemin 2015






lundi 8 mai 2017

Cette ample faculté d'accueil


« Je suis né dans un canton écarté de la montagne, d’une vieille race qui, depuis des millénaires, n’a pas cessé d’être là, avec les uns, avec les autres…qui, sous le soleil ou la neige, à travers les sables garamantes ou les vieilles cités du Tell, a déroulé sa saga, ses épreuves et ses fastes, qui a contribué dans l’histoire de diverses façons à rendre plus humaine la vie des hommes.
Les tenants d’un chauvinisme souffreteux peuvent aller déplorant la trop grande ouverture de l’éventail : Hannibal a conçu sa stratégie en punique ; c’est en latin qu’Augustin a dit la cité de Dieu, en arabe qu’Ibn Khaldoun a exposé les lois des révolutions des hommes. Personnellement, il me plaît de constater, dès les débuts de l’histoire, cette ample faculté d’accueil. Car, il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu’ils stérilisent c’est sûr. C'est par là que je voudrais finir. Le nombre de jours qu'il me reste à vivre, Dieu seul le sait. Mais quel que soit le point de la course où le terme m'atteindra, je partirai avec la certitude chevillée que, quels que soient les obstacles que l'histoire lui apportera, c'est dans le sens de sa libération que mon peuple (et à travers lui les autres) ira. L'ignorance, les préjugés, l'inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l'on distinguera la vérité de ses faux-semblants. »


Mouloud Mammeri à Tahar Djaout, Entretiens 1987

Floraison  2017

samedi 6 mai 2017

Qui ne peuvent orner


"Sur un fumier de pauvreté poussent des fleurs monstrueuses qui ne peuvent orner les jardins de l'esprit"
Eugène Dabit, Faubourg de Paris, 1933

Pierres dans la ville, septembre 2016



vendredi 24 février 2017

Le cheval de Théophile Gautier


J'ai quelque tendresse pour Théophile Gautier. Je lui dois le titre de mon recueil de nouvelles De si beaux ennemis, paru en 2014, aux Éditions Parole.
Me consacrant actuellement à une recherche littéraire liée au 19ème siècle, je suis tombée, au détour d'une lecture, sur un épisode qui m'a fait sourire, si ce n'est rire. Les protecteurs des animaux s'en réjouiront. Gautier et Victor Hugo y gagneront en sympathie.
Voici les circonstances : Après de longues années d'exil, et à la chute du Second Empire et l'avènement de la Troisième République, Victor Hugo, auréolé de prestige, rentre à Paris. C'est l'année 1870, l'année de tous les dangers, de toutes les violences et de toutes les espérances. L'année où tout manque, le bois, le charbon, la nourriture... Gautier est fatigué, malade, fou d'inquiétude pour ses amis et ses proches, il a dû quitter sa maison. De plus, il se fait un sang d'encre pour son cheval réquisitionné pour les besoins de l'alimentation et donc condamné à être abattu. On sait que même les animaux du Jardin des Plantes n'ont pas été épargnés.
Fervent et fidèle admirateur de Victor Hugo depuis Hernani et leur folle jeunesse, Gautier n'a jamais demandé quoi que ce fût à son célèbre ami.
Pourtant fin décembre 1870, il lui écrit :

Cher et vénéré maître,
Celui qui n'a aimé et adoré que vous dans toute sa vie, vient, les larmes aux yeux, vous prie de sauver par une de vos paroles toutes puissantes une pauvre et charmante bête qu'on veut mener à l'abattoir. Votre bonté universelle comme la bonté divine a pitié de la bête comme de l'homme. Il s'agit de mon cheval que j'ai préservé jusqu'à présent…. Vous qui avez l'âme aussi tendre que grande et qui, terrible comme Jupiter foudroyant, avez sur la vie les scrupules d'un brahme, faites qu'on épargne ce pauvre être innocent. ---- Je suis sûr du moins que vous ne rirez pas de ma douleur…. Je suis honteux de déranger Olympio pour si peu de choses; mais il pardonnera cette hardiesse à son ancien Albertus, à son page romantique des jours d'Hernani.

De son côté, Victor Hugo qui s'interdit, sauf à de rares exceptions, des démarches personnelles auprès de ministres et autres, note dans ses papiers du 29 décembre 1870 :

Théophile Gautier a un cheval, ce cheval est réquisitionné. On veut le manger. Gautier m’écrit et me prie d’obtenir sa grâce. Je l’ai demandée au ministre.

Le 30, il écrit : J'espère sauver le pauvre cheval de Th. Gautier.
Puis, en marge du 29 décembre, il précise, sans fioritures : J’ai sauvé le cheval.

Victor Hugo qui écrit encore, le 30 décembre 1870 : Ce n’est même plus du cheval que nous mangeons. C’est peut-être du chien ? C’est peut-être du rat ? Je commence à avoir des maux d’estomac. Nous mangeons de l’inconnu. 
Le 18 janvier 1871 : J’émiette aux poules notre pain noir. Elles n’en veulent pas.










Le long de ma marche, 2015
 

lundi 12 décembre 2016

Leur vulnérabilité et leur dignité


Moi, Daniel Blake, film, 1 heure 40, 2016
Réalisateur : Ken Loach
Scénariste : Paul Laverty
Avec Daves Johns, Hayley Squires, Nathalie Ann Jamieson, Mickie McGregor, Colin Coombs, Bryn Jone, Mick Laffey, Briana Shann, Dylan Mckiernan, John Summer.

Notes et impressions, mon carnet de spectatrice

-Il était une fois un homme qui avait travaillé toute sa vie. Puis il est tombé gravement malade, souffrant de problèmes cardiaques. Il se fait soigner, son médecin lui interdit de reprendre le travail. S'ensuivent des démarches kafkaïennes auprès des Services sociaux. L'homme va devoir affronter des interrogatoires tel un coupable et découvrir une administration opaque, féroce. Le but de ces Services est de dénier à l'individu son passé de labeur et de dignité, de le déposséder, de le pousser au désespoir et vers la rue, au sens concret du terme. Sans compter ceux qui s'en font les relais serviles et tout aussi féroces : le personnel, les agents de sécurité. De temps à autre émergent parmi ces derniers, des attitudes d'empathie et de compréhension mais impuissantes dans la machine administrative conçue pour broyer et éliminer méthodiquement.
Les "détails" en disent long. L'autre personnage du film, la jeune femme pauvre, mère de deux jeunes enfants, a volé dans un magasin, parmi d'autres choses "de survie", un petit paquet de bandes hygiéniques... Elle demandera à l'épicerie solidaire des bandes hygiéniques que celle-ci ne fait pas figurer parmi les éléments d'urgence. (Point de jonction : le kit dit  de dignité lancé par Solidarites International, en faveur de réfugiés démunis, comporte : un savon, un peigne, un sachet de mouchoirs, un tube de dentifrice, une brosse à dent, un shampoing et des bandes hygiéniques.)
Que deviennent les gens pauvres, ceux qui font la queue devant la banque alimentaire? Cette image fait penser immanquablement à la crise financière et économiques de 1929 et à ses images, fixant des cohortes de femmes, d'enfants, d'hommes miséreux, aux visages émaciés par la malnutrition, si ce n'est la faim, et une tristesse infinie. Qui a raconté qu'elles appartiennent à une Histoire révolue?
Par touches à peine appuyées, sensibles, poétiques : la présence, la voix des enfants. Nul n'écoute les enfants. Pourquoi voudrait-on qu'ils écoutent?
Voici un homme qui a mille compétences manuelles, qui sait construire de ses mains une bibliothèque, réparer les lampes, sauf celles de l'internet. Donc, forcément, il est out, hors système. Dans ce film dur, des bouffées de tendresse, d'amitié, des élans de solidarité. Entre les jeunes voisins et l'homme de cinquante-neuf ans, entre la jeune femme si désemparée, ses deux enfants et cet homme. Cet homme qui a revendiqué jusqu'au bout son identité d'humain, d'individu, sa dignité de personne sociale : je suis Moi, je m'appelle Daniel Blake.
D'aucuns diront, ont dit que Ken Loach a un peu trop souligné la démonstration.
Peut-être et qu'importe. La réalité à laquelle renvoie son film existe, il ne l'a pas inventée. Je pensais à ce film alors que j'entendais quelqu'un, possédant plusieurs propriétés, se plaindre de payer trop d'impôts. L'un des problèmes pointés dans le film est le logement ou plutôt la difficulté extrême que vivent les gens modestes et pauvres à se loger dans l'Angleterre d'aujourd'hui. Selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la barrière...
Ken Loach, cinéaste de 80 ans, n'a plus rien à prouver quant à son art. Il témoigne, en tant que tel, des réalités de son pays. Des réalités qui concernent également d'autres pays européens démocratiques. S'instruire, se soigner, travailler, se nourrir, se vêtir décemment n'y sont plus des évidences minimales de dignité. Le vent d'un certain XIXème siècle y est revenu, soufflant implacablement. (Mais c'est aussi le siècle des luttes... me dit un ami).
Je regardais le film Moi, Daniel Blake et me traversaient des réminiscences d'un ouvrage de Flora Tristan, intitulé Promenades dans Londres [titre complet : Promenades dans Londres ou l'Aristocratie et les prolétaires anglais] paru en 1840. Rentrée chez moi, je recherche le texte, le retrouve, l'ouvre au hasard : "Ainsi en Angleterre, les moralistes, les hommes d’État dont les paroles sont écoutées, n'indiquent d'autre moyen pour sauver le peuple que de lui prescrire le jeûne, de lui interdire le mariage et de jeter dans les égouts les enfants nouveau-nés. Selon eux, le mariage ne doit être permis qu'aux gens aisés, et il ne doit exister aucun hospice pour les enfants abandonnés".
Propos de cinéaste, l'an XVI du XXIème siècle : « Nous [Ken Loach et Paul Laverty, alors qu'ils préparaient le film en question] avons rencontré un groupe de demandeurs d’emploi par l’intermédiaire d’une association caritative. Il y avait un jeune homme qui n’avait pas mangé depuis quatre jours. Un autre, à qui l’agence pour l’emploi avait demandé à 5 heures du matin de se rendre à un entrepôt à 6 heures, s’était entendu dire une fois sur place qu’il n’y avait pas de boulot. On évoque cette humiliation permanente et ce sentiment constant de précarité". Il y a comme des échos qui se répondent. D'un siècle à l'autre, des échos de mépris et de cruauté vis-à-vis des plus démunis d'entre nous -"et nos frères pourtant"- et qu'on ne saurait voir...

-Pour rester dans le domaine du cinéma, concernant plus précisément les catégories moyennes en France, il y a l'excellent, le profond film documentaire de Frédéric Brunnquell : Classe moyenne, des vies sur le fil, passé sur Arte, en 2015.
Film en 3 parties, montrant des femmes et des hommes issus de "la petite classe moyenne", selon les termes du cinéaste, aux prises avec la crise, constamment au bord du basculement dans la pauvreté : "J'avais beau le savoir, ce qui m'a le plus sauté aux yeux, c'est leur vulnérabilité. J'ai voulu montrer la manière dont la crise les fragilise, et les stratégies qu'ils mettent en place pour y faire face, l'énergie dingue qu'ils déploient pour s'en sortir".

-Frédéric Brunnquell, c'est aussi celui qui a réalisé le saisissant Nos vies discount, 2012. J'avais pris des notes, tant il m'avait secouée. J'y reviendrai. 

Chaque nuit un homme y dort, 2016.

 

lundi 5 décembre 2016

Anna et Ilya, Réminiscences


Une courte nouvelle, telle une vision, une traversée de mémoire :


©Soumya Ammar Khodja

Lire sur Le Capital des mots 

4 décembre 2016


Pénombre 2015




 

lundi 14 novembre 2016

Des femmes et leurs paroles


Mon carnet de spectatrice, notes et impressions, à propos du film documentaire :

H'na barra/Nous, dehors, 53 mns, 2014

de Meriem Achour Bouakkaz et de Bahïa Bencheikh-Elfeggoune

Image : Jean-Marie Delorme
Son : Antoine Morin, Moncef Taleb
Montage : Nadia Benrachid, Pascal Cardeilac
Production/Diffusion : Allers Retours Films, Centrale Électrique

Cela se passe en Algérie, à Constantine, à Sétif, à Alger. Des femmes parlent. Des femmes élaborent une parole de réflexion et de questionnement sur elles-mêmes en tant que femmes aux prises avec leur société. Une société où une opinion, largement répandue, prône le voilement des femmes ; où les femmes ne sont pas impunément des femmes.
-Cas de figure : cette jeune femme a décidé de porter le voile, foulard et long vêtement ample. D'un point de vue concret, cela lui permet de se déplacer dans la ville, librement, sans entraves. Si les premiers temps, elle est plutôt bien vue, dehors, dans le bus où on lui cède volontiers la place, elle est vite rattrapée par le réel. Elle aura beau se voiler et se voiler encore, elle n'échappe pas au regard, à l'agressivité masculine. Elle est encore trop visible. Que faire ? Par rapport à ce corps qui est tout sauf anodin, à cette féminité problématique, j'allais dire névralgique tant elle pose problème... Cette jeune femme vit au quotidien, dans son être même, une oscillation permanente. C'est un tourment et une merveille d'être femme. Comment vivre, entre deux tensions constantes ? Il semble donc que le choix de porter le voile – en même temps qu'il est une réponse, un acquiescement, à une puissante injonction sociale – exprime une tentative d'échapper au regard extérieur, à l'agressivité masculine sous toutes ses formes, paroles et gestes. Attitude qui pourrait se résumer en ces termes : se voiler pour avoir la paix et circuler dans la rue, dans les jours, dans la vie, sans être entravée par l’œil d'autrui, qui jauge, juge, condamne et agresse. Or, le port du voile ne lui apporte ni tranquillité ni apaisement. Il ne lui est pas une solution satisfaisante et épanouissante.
-Cas de figure : cette jeune femme a porté le voile pendant plusieurs années de suite, pendant qu'elle poursuivait ses études de médecine. Progressivement, le désir de l'enlever a fait son chemin en elle. Ce désir s'est accompagné de la prise de conscience de son visage. Un visage dont elle s'est peu à peu occupé : discrète épilation des sourcils, à peine du rouge sur les lèvres. Puis, elle a franchi le pas, avec conviction et appréhension, le cœur battant. Dévoilée, elle a dû affronter l'incompréhension, le jugement, le rejet, le rappel à l'ordre, les leçons des uns et des autres : collègues d'université, voisins, et autres meilleures amies. De même, sa famille, sa mère, son jeune frère n'ont pas été épargnés par la vague de condamnations et de remontrances. Il faut arriver à imaginer le poids, la constance de cette pression pour mesurer le courage, la ténacité et la force de caractère de cette jeune femme.
-Cas de figure : cette jeune femme, en quête d'elle-même, voudrait enlever le voile mais n'ose pas encore franchir le pas, qui s'interroge, qui interroge. Devant un grand miroir, elle dit détester son corps, ce corps qui l'emprisonne, objet de souffrances et qui ne passe pas inaperçu, même voilé !
-Cas de figure : cette ardente jeune femme, sans voile, s'assumant pleinement en tant que telle, aborde une problématique sensible : la relation fille/père. Elle a dû prendre soin de son père malade, en procédant également à sa toilette intime. « Heureusement que dans sa maladie, il a un peu perdu la tête. La question de la pudeur a pu ainsi être dépassée », explique-t-elle en substance. Malgré cette proximité physique, cette relation si forte avec son père, le rituel de sa toilette mortuaire lui sera refusé. Elle sera privée, selon ses propres termes, du geste de l'enterrer. Coutume immémoriale qu'elle récuse. Pourquoi seuls les hommes auraient-ils le droit d'enterrer ?
-Cas de figure : cette femme est l'ainée du film. Celle-ci n'a jamais porté de voile, n'a aucunement, à nul moment, songé à le faire. Il ne lui aurait rien apporté de plus. Une vie de lutte, une vie à s'appliquer à être parfaite, en tant que fille de son père, de ses parents, en tant qu'élève et étudiante de médecine, en tant qu'épouse, mère de famille et médecin... une vie de combat et de labeur, avec au cœur, un sentiment profond de liberté. Par ce qu'elle est en parfaite adéquation avec elle-même, ses valeurs propres et universelles
Au-delà de l'émotion qu'elles peuvent provoquer chez les spectatrices et spectateurs attentifs - il ne suffit pas de constater qu'elles sont poignantes - leurs propos mènent à des questions qui continuent de concerner les femmes. Qu'est-ce qu'être femme, par rapport à soi et aux autres? Qu'est-ce qu'un corps de femme? Qu'est-ce que la féminité? Par qui, par quoi sont-ils déterminés? Comment sont-ils perçus? Par exemple, sous d'autres cieux plus ouverts, dans de hautes sphères, sphères de la politique et du pouvoir, la présence des femmes, leur corps, leur féminité, leur façon de se vêtir (Ô la robe de Cécile Duflot), semble être un problème pour un certain nombre de leurs collègues masculins, pour ne dire que cela. Pourquoi? [Lire, entre autres, l'ouvrage de l'universitaire et politique Sandrine Rousseau Manuel de survie à destination des Femmes en Politique, Edition Les Petits Matins, 2015 et un entretien de la même, très intéressant, à mon sens.]
Ce film est une étape. Une étape de discussion et de réflexion, à ajouter au débat. Il pose aussi, en filigrane, des problématiques fines. Il fait saisir que l'opinion qui veut que les femmes se voilent n'a que faire de leurs motivations spirituelles. Ce qui importe à cette opinion, c'est que les femmes se voilent le plus possible, encore et encore, jusqu'à l'invisibilité dans la sphère publique. D'autre part, il rappelle, à qui voudrait l'oublier - c'est peut-être plus rapide de figer les personnes dans des "clichés" - que des femmes ont ce mouvement : elles enlèvent leur voile. Il y a celles qui portent le voile, celles qui songent à l'enlever, celles qui l'enlèvent, celles qui ne l'ont jamais porté... Réalités multiples, diverses, mouvantes...
H'na Barra/Nous, dehors : la caméra s'arrête sur des visages de femmes intelligentes, passionnantes. Des femmes, riches de leur intériorité et de leur questionnement, exposent ce qu'elles vivent, ce qu'elles ressentent, ce qu'elles pensent dans une société particulière où il n'est pas aisé d'être une femme. C'est certainement un combat quotidien. Dans leurs discours, aucune facilité, aucune formule creuse. Elles sont dans la densité. Cela change des discussions banales, sans épaisseur... Introduire la complexité, la gravité dans la prise de parole est salutaire et vivifiant. D'autant plus que cette parole est directement celle de femmes, leur parole intérieure. En cela, ce film est beau et fort.

Algérie, 2012