dimanche 15 novembre 2015

Depuis...


...Depuis que vos rires n'irisent plus
Le bord des vagues ni ne chantent
Sur le haut des montagnes

Depuis que vos souffles ne se mêlent plus
Aux blés parcourus de vifs coquelicots
Et que vos voix n'ensoleillent plus le paysage

Depuis que les miroirs
Ne réfléchissent plus vos visages
Et que la terre ne porte plus vos pas

De votre absence
Elle a fait sa demeure
De votre manque
Elle tisse sa mémoire
Et le vent qui gémit
Ne lui parle que de vous...

Soumya Ammar Khodja

Fleurs de Paris 2015

jeudi 12 novembre 2015

Bla cinima

Bla cinima

Réalisateur/scénariste : Lamine Ammar Khodja
Image : Sylvie Petit
Son : Lamine Ammar Khodja
Montage : Francine Lemaître
Production : The Kingdom
Année : 2014



Le Festival Lumières d'Afrique de Besançon, 15ème Festival des Cinémas d'Afrique de Besançon, 7 au 14 novembre 2015, a retenu dans sa programmation le film documentaire Bla cinima que je suis allée voir au Petit Kursaal.

On peut lire sur maints sites de programmation cinématographique ou de revues l'argument du film. Ou écouter le cinéaste sur dailymotion. Je n'y reviendrai pas.

Les lignes qui suivent sont mon Carnet de spectatrice : notes et impressions.

Bla : signifie en arabe dialectal sans. Bla cinima : sans cinéma, indiquant le lieu, l'expression artistique qu'est le cinéma. Cela pourrait aussi signifier : sans fioritures. Une réalité transmise telle quelle, « sans cinéma ».

Il est question de cinéma, d'une salle de cinéma rénovée, le Sierra Maestra, à Alger-centre, dans un quartier encore désigné dans la langue orale de son ancien nom : Meissonier. Cela devient à travers les visages et les dits des uns et des autres autre chose. Cet autre chose, là où se condense un plus, un supplément d'âme qui fait qu'un film vous retient.

La lumière. Les couleurs. La placette. Les bruissements. Les gens. Des propos. Les visages. Leur densité. Et tout d'un coup, l'émotion affleure, vous prend à la gorge et au cœur.

Visage de cette jeune fille de 18 ans qui décline précisément son âge (année, mois et jours), exprimant une relation très lourde au temps comme si elle vivait depuis fort longtemps – et me traversent les mots du poète : « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans » -. Elle parle. Son rêve immédiat est de se marier et je devine sans me tromper que ce rêve exprime le manque où elle se trouve : pas de maison, études arrêtées. Désir de stabilité et de sécurité que donne la stabilité. Elle parle et ses mots prennent des ailes. Elle rêve d'Italie, plus exactement de Venise, là où les maisons sont des bateaux. De Rome. D'Amérique. Inscrit sur je ne sais plus quel support, la caméra saisit quelques secondes « amer » du mot Amérique. Je n'y avais jamais fait attention. La France ne lui donne pas envie. « La France est sortie de mon cœur ». Depuis Sarkozy, ajoute-t-elle. Elle se tait. La caméra s'arrête sur son visage délicat, aux traits purs de la jeunesse.

Un vieil homme, impeccablement habillé, inoubliable. Anciennement ingénieur des mines. Au bout du parcours : une retraite très modeste et qui n'a pas de logement. Ce n'est pas lui qui l'affirme mais quelqu'un d'autre. « Je ne me plains pas ». Cet homme-là a conservé un profond attachement à la patrie. Il explique qui était Meissonier1
Un jeune père de famille a des mots étourdissants sur l'impossibilité de se loger. Sa femme, ses petites filles et lui-même n'ont pas de logement. Se loger est un rêve qui se ravive lorsque dans la rue il lève les yeux et aperçoit une fenêtre à travers laquelle brille une lumière. Malgré tout, la verve algérienne. Évoquant le quartier de son enfance, sa vaste famille, il a cette expression : « On nous appelait la famille Ewing »

Des personnages. Cette femme habitée par le Djinn s'exprime volontiers et complaisamment sur l'emprise de celui-ci sur sa tête, son corps, son existence. Un jeune, sourire aux lèvres, s'adresse à l'équipe : « Qui êtes-vous ? Vous avez le look Arte !». Cet autre dit au cinéaste : « Cela se voit que tu n'es pas d'ici ». Cette dame, la quarantaine, fait part de son goût des séries turques ponctuant ses après-midis. Dès 13 heures, elle sera chez-elle et n'en sortira plus. Avant, c'étaient les séries égyptiennes. Désormais, elle sont battues en brèche par les turques ! Cet autre vieil homme affirme avec une note d'humour et d'ironie que les vieux s'en sortent plus ou moins... Son inquiétude, son tourment, ce sont les jeunes, fragilisés par le chômage, la précarité, le manque de perspectives.

Certains visages sont marqués par la pauvreté de leur milieu. Ce jeune vendeur au visage d’amertume à qui on vient de saisir sa marchandise qu'il s'apprêtait à vendre sur la placette. Il n'avait sans doute pas le droit. Mais que faire ? Comment vivre, survivre ? Le vieux vendeur de menthe fraîche ne dit mot ; silencieux, il s'active à ramasser des « brindilles » de menthe séchée pour ne pas salir.

J'ai vu ce film et je sais encore un fois pourquoi un jour je suis tombée amoureuse du genre documentaire. Ce genre qui, à travers un point de vue, vous rend une réalité perceptible, vive – comme l'on dirait aussi d'une blessure - , sur laquelle le regard s'arrête, au bord de laquelle le cœur bat un peu plus vite et vous rend des gens, leurs visages d'hommes, de femmes, d'enfants, leurs mots, au moins intéressants, suscitant le questionnement.

Un bout d'Alger. Une placette lumineuse. La proximité d'une salle de cinéma. A quoi sert-elle ? Pour qui est-elle ? Des anciens disent leur regret, leur nostalgie du temps où plusieurs salles de cinéma existaient à Alger. Des jeunes hommes, trentenaires, se veulent sérieux, moralisateurs : « le cinéma doit être ceci, cela... », appelant à la rescousse la propreté – du comportement, des mœurs - et la religion.

Des visages et des mots. Qui racontent le sentiment d'étroitesse et d'étouffement des êtres. Leurs insuffisances et leurs contradictions. La pleine perception de l'injustice et de l'inégalité dans la société. Des êtres mélancoliques, en attente.

La petite fille et son sourire qui aime les films d'horreur serait-elle une espérance ? Je voudrais le croire. Des visages et des mots qui s'imposent d'eux-mêmes, riches de résonance et de significations pour donner envie d'en faire un film.

Une caméra sensible. La présence du réalisateur, Lamine Ammar Khodja, dans son film, posant des questions, relançant, écoutant, une présence respectueuse. Un montage efficace. L'ensemble : un film qui ne laisse pas indifférent, aucunement.

J'ai aimé ce film, sans doute parce que j'aime les gens, les gens supposés ordinaires, véritables thermomètres de l'état d'une société, d'un pays. Il se trouve que c'est l'Algérie. Je suis toujours touchée par la générosité des gens, dans leur façon de se donner, de s'exprimer tels qu'ils sont, le temps d'une rencontre, d'une conversation, dans une société où la réserve, la méfiance, la fermeture n'y sont pas des données rares.

Et l'on s'en va, le cœur empoigné, en pensant à tous ces visages, à leurs voix, à leurs paroles, avec ces questions : Que font-ils ? Que deviennent-ils ? Que vont-ils devenir ?


1- Il évoque le bourreau, [contractuel de la république française de cette époque] responsable de l'exécution de nombreux condamnés à mort algériens pendant la guerre d'indépendance. A mon avis, il ne s'agit pas de cet homme-là. Le nom de ce bourreau s'écrit avec un y : Meyssonnier Fernand. Meissonnier, avec i, est plus sûrement le nom d'un peintre, sans doute Joseph Meissonnier.
Cactus fleuri Alger 2012


mercredi 4 novembre 2015

En marchant, en photographiant

Curieux de ce qui s'écrit dans les rues de la ville, mes yeux captent...  Et je sors mon petit appareil photo (ou celui du portable). Je ne recherche pas le beau paysage, la belle scène - ni talent ni prétention artistique - mais la surprise. Ce que disent les murs. Les murs, les supports de la ville parlent, ironisent, protestent, affirment, recommandent. Au fil de mes marches, j'en ai pris un certain nombre. J'en prends selon mon attention, mon humeur, l'appel des mots.

Pour aujourd'hui, voici. Celle-ci a été prise le 15-12-2012. Je l'ai retrouvée, parmi d'autres, dans mon fichier Images. Je me revois traverser et revenir sur mes pas... rêvant aux raisons de celle ou celui qui a posé sur un panneau de la ville ces mots en lettres rouges majuscules:  "NE PAS GERBER". 

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