Moi,
Daniel Blake,
film, 1 heure 40, 2016
Réalisateur
: Ken Loach
Scénariste
: Paul Laverty
Avec
Daves Johns, Hayley Squires, Nathalie Ann Jamieson, Mickie McGregor,
Colin Coombs, Bryn Jone, Mick Laffey, Briana Shann, Dylan Mckiernan,
John Summer.
Notes
et impressions, mon carnet de spectatrice
-Il
était une fois un homme qui avait travaillé toute sa vie. Puis il
est tombé gravement malade, souffrant de problèmes cardiaques. Il
se fait soigner, son médecin lui interdit de reprendre le travail.
S'ensuivent des démarches kafkaïennes auprès des Services sociaux.
L'homme va devoir affronter des interrogatoires tel un coupable et
découvrir une administration opaque, féroce. Le but de ces Services
est de dénier à l'individu son passé de labeur et de dignité, de
le déposséder, de le pousser au désespoir et vers la rue, au sens
concret du terme. Sans compter ceux qui s'en font les relais
serviles et tout aussi féroces : le personnel, les agents de sécurité. De temps à autre émergent
parmi ces derniers, des attitudes d'empathie et de compréhension
mais impuissantes dans la machine administrative conçue pour broyer
et éliminer méthodiquement.
Les "détails" en disent long. L'autre personnage du film, la jeune femme pauvre, mère de deux jeunes enfants, a volé dans un magasin, parmi d'autres choses "de survie", un petit paquet de bandes hygiéniques... Elle demandera à l'épicerie solidaire des bandes hygiéniques que celle-ci ne fait pas figurer parmi les éléments d'urgence. (Point de jonction : le kit dit de dignité lancé par Solidarites International, en faveur de réfugiés démunis, comporte : un savon, un peigne, un sachet de mouchoirs, un tube de dentifrice, une brosse à dent, un shampoing et des bandes hygiéniques.)
Les "détails" en disent long. L'autre personnage du film, la jeune femme pauvre, mère de deux jeunes enfants, a volé dans un magasin, parmi d'autres choses "de survie", un petit paquet de bandes hygiéniques... Elle demandera à l'épicerie solidaire des bandes hygiéniques que celle-ci ne fait pas figurer parmi les éléments d'urgence. (Point de jonction : le kit dit de dignité lancé par Solidarites International, en faveur de réfugiés démunis, comporte : un savon, un peigne, un sachet de mouchoirs, un tube de dentifrice, une brosse à dent, un shampoing et des bandes hygiéniques.)
Que
deviennent les gens pauvres, ceux qui font la queue devant la banque
alimentaire? Cette image fait penser immanquablement à la crise
financière et économiques de 1929 et à ses images, fixant des
cohortes de femmes, d'enfants, d'hommes miséreux, aux visages
émaciés par la malnutrition, si ce n'est la faim, et une tristesse
infinie. Qui a raconté qu'elles appartiennent à une Histoire
révolue?
Par
touches à peine appuyées, sensibles, poétiques : la présence, la
voix des enfants. Nul n'écoute les enfants. Pourquoi voudrait-on
qu'ils écoutent?
Voici
un homme qui a mille compétences manuelles, qui sait construire de
ses mains une bibliothèque, réparer les lampes, sauf celles de
l'internet. Donc, forcément, il est out, hors système. Dans ce film
dur, des bouffées de tendresse, d'amitié, des élans de solidarité.
Entre les jeunes voisins et l'homme de cinquante-neuf ans, entre la
jeune femme si désemparée, ses deux enfants et cet homme. Cet homme
qui a revendiqué jusqu'au bout son identité d'humain, d'individu,
sa dignité de personne sociale : je suis Moi, je m'appelle Daniel
Blake.
D'aucuns
diront, ont dit que Ken
Loach a un peu trop souligné la démonstration.
Peut-être
et qu'importe. La réalité à laquelle renvoie son film existe, il
ne l'a pas inventée. Je pensais à ce film alors que j'entendais
quelqu'un, possédant plusieurs propriétés, se plaindre de payer
trop d'impôts. L'un des problèmes pointés dans le film est le
logement ou plutôt la difficulté extrême que vivent les gens
modestes et pauvres à se loger dans l'Angleterre d'aujourd'hui.
Selon que l'on se trouve d'un côté ou de l'autre de la barrière...
Ken
Loach, cinéaste de 80 ans, n'a plus rien à prouver quant à son
art. Il témoigne, en tant que tel, des réalités de son pays. Des
réalités qui concernent également d'autres pays européens
démocratiques. S'instruire, se soigner, travailler, se nourrir, se
vêtir décemment n'y sont plus des évidences minimales de dignité.
Le vent d'un certain XIXème siècle y est revenu, soufflant
implacablement. (Mais c'est aussi le siècle des luttes... me dit un
ami).
Je
regardais le film Moi, Daniel Blake et
me traversaient des réminiscences d'un ouvrage de Flora Tristan,
intitulé Promenades
dans Londres [titre
complet :
Promenades dans Londres ou l'Aristocratie et les prolétaires
anglais]
paru en 1840. Rentrée chez moi, je recherche le texte, le retrouve,
l'ouvre au hasard : "Ainsi en Angleterre, les moralistes, les
hommes d’État dont les paroles sont écoutées, n'indiquent
d'autre moyen pour sauver le peuple que de lui prescrire le jeûne,
de lui interdire le mariage
et de jeter dans les égouts les enfants nouveau-nés. Selon eux, le
mariage ne doit être permis qu'aux gens
aisés,
et il ne doit exister aucun hospice pour les enfants abandonnés".
Propos
de cinéaste, l'an XVI du XXIème siècle : « Nous [Ken Loach
et Paul Laverty, alors qu'ils préparaient le film en question] avons
rencontré un groupe de demandeurs d’emploi par l’intermédiaire
d’une association caritative. Il y avait un jeune homme qui n’avait
pas mangé depuis quatre jours. Un autre, à qui l’agence pour
l’emploi avait demandé à 5 heures du matin de se rendre à
un entrepôt à 6 heures, s’était entendu dire une fois sur
place qu’il n’y avait pas de boulot. On évoque cette humiliation
permanente et ce sentiment constant de précarité". Il y a
comme des échos qui se répondent. D'un siècle à l'autre, des
échos de mépris et de cruauté vis-à-vis des plus démunis d'entre
nous -"et nos frères pourtant"- et qu'on ne saurait
voir...
-Pour
rester dans le domaine du cinéma, concernant plus précisément les
catégories moyennes en France, il y a l'excellent, le profond film
documentaire de Frédéric Brunnquell : Classe
moyenne, des vies sur le fil,
passé sur Arte, en 2015.
Film
en 3 parties, montrant des femmes et des hommes issus de "la
petite classe moyenne", selon les termes du cinéaste, aux
prises avec la crise, constamment au bord du basculement dans la
pauvreté : "J'avais
beau le savoir, ce qui m'a le plus sauté aux yeux, c'est leur
vulnérabilité. J'ai
voulu montrer la manière dont la crise les fragilise, et les
stratégies qu'ils mettent en place pour y faire face, l'énergie
dingue qu'ils déploient pour s'en sortir".
-Frédéric
Brunnquell, c'est aussi celui qui a réalisé le saisissant Nos
vies discount,
2012. J'avais pris des notes, tant il m'avait secouée. J'y
reviendrai.
Chaque nuit un homme y dort, 2016. |