J'ai quelque tendresse pour Théophile Gautier. Je lui dois le titre de mon
recueil de nouvelles De si beaux ennemis,
paru en 2014, aux Éditions Parole.
Me
consacrant actuellement à une recherche littéraire liée au 19ème
siècle, je suis tombée, au détour d'une lecture, sur un épisode
qui m'a fait sourire, si ce n'est rire. Les protecteurs des animaux
s'en réjouiront. Gautier et Victor Hugo y gagneront en sympathie.
Voici
les circonstances : Après de longues années d'exil, et à la chute
du Second Empire et l'avènement de la Troisième République, Victor
Hugo, auréolé de prestige, rentre à Paris. C'est l'année 1870,
l'année de tous les dangers, de toutes les violences et de toutes
les espérances. L'année où tout manque, le bois, le charbon, la
nourriture... Gautier est fatigué, malade, fou d'inquiétude pour
ses amis et ses proches, il a dû quitter sa maison. De plus, il se
fait un sang d'encre pour son cheval réquisitionné pour les besoins
de l'alimentation et donc condamné à être abattu. On sait que même
les animaux du Jardin des Plantes n'ont pas été épargnés.
Fervent
et fidèle admirateur de Victor Hugo depuis Hernani
et
leur folle jeunesse, Gautier n'a jamais demandé quoi que ce fût à
son célèbre ami.
Pourtant
fin décembre 1870, il lui écrit :
Cher et vénéré maître,
Celui
qui n'a aimé et adoré que vous dans toute sa vie, vient, les larmes
aux yeux, vous prie de sauver par une de vos paroles toutes
puissantes une pauvre et charmante bête qu'on veut mener à
l'abattoir. Votre bonté universelle comme la bonté divine a pitié
de la bête comme de l'homme. Il s'agit de mon cheval que j'ai
préservé jusqu'à présent…. Vous qui avez l'âme aussi tendre
que grande et qui, terrible comme Jupiter foudroyant, avez sur la vie
les scrupules d'un brahme, faites qu'on épargne ce pauvre être
innocent. ---- Je suis sûr du moins que vous ne rirez pas de ma
douleur…. Je suis honteux de déranger Olympio pour si peu de
choses; mais il pardonnera cette hardiesse à son ancien Albertus, à
son page romantique des jours d'Hernani.
De son côté, Victor Hugo qui s'interdit, sauf à de rares exceptions, des démarches personnelles auprès de ministres et autres, note dans ses papiers du 29 décembre 1870 :
Théophile Gautier a un cheval, ce cheval est réquisitionné. On veut le manger. Gautier m’écrit et me prie d’obtenir sa grâce. Je l’ai demandée au ministre.
Le 30, il écrit : J'espère sauver le pauvre cheval de Th. Gautier.
Puis,
en marge du 29 décembre, il précise, sans fioritures : J’ai
sauvé le cheval.
Victor Hugo qui écrit encore, le 30 décembre 1870 : Ce n’est même plus du cheval que nous mangeons. C’est peut-être du chien ? C’est peut-être du rat ? Je commence à avoir des maux d’estomac. Nous mangeons de l’inconnu.